Violences faites aux femmes exilées
Depuis les causes de l’exil, jusqu’à l’arrivée dans le pays d’accueil, les femmes migrantes sont les victimes de nombreux types de violences, liées ou non au genre. Tous ces types de violences, malgré leurs justifications diverses et la multiplicité de leurs formes effectives, sont interreliés et sont des menaces permanentes pour les femmes en exil.
Selon l’ONU, une jeune fille sur trois, dans le monde, est mariée avant ses 18 ans, soit environ 10 millions de mariages par an. La tradition, la pression sociale, la pauvreté des familles, les conduisent à marier leurs filles à des hommes souvent plus âgés. Des violences et abus sexuels en résultent, ainsi qu’une déscolarisation de la jeune fille et des problèmes de santé (notamment liés aux grossesses adolescentes).
L’UNFPA estimait, en 2011, que 46% des jeunes filles étaient mariées avant 18 ans en Asie du Sud-Est, 41% en Afrique Centrale et de l’Ouest, 34% en Afrique de l’Est et du Sud, 29% en Amérique latine et dans les Caraïbes, 18% en Asie de l’Est et le Pacifique, 15% au Moyen Orient, 11% en Europe de l’Est et en Asie Centrale.
En 2018, l’UNICEF estimait un net recul de ces pratiques, grâce aux mesures gouvernementales et à la prise de conscience sociale. L’Inde, où cette pratique touchait près de la moitié des filles, a réussi à réduire de moitié le taux de jeunes filles mariées précocement, en seulement 10 ans. Sur la même période, en Asie du Sud, le risque pour les filles de se voir mariées est passé de 50% à 30%, ou encore en Ethiopie ou le risque a également diminué d’un tiers.
GSF a pu remarquer, par ses activités en France, que les violences conjugales et les mariages forcés font partie des causes de l’exil, notamment pour les femmes Afghanes.
En France, il s’agirait, selon la Fédération GAMS, de 70 000 mineures concernées par la menace du mariage forcé.
La carte ci-contre reflète la prévalence de la violence conjugale dans le monde (carte issue de Radio Canada, sources ONU et OCDE, 2017).
Les violences conjugales ne sont pas exclusives aux pays occidentaux. Toutefois, dans certaines régions du globe, la légitimité de ces violences est admise socialement, y compris par les femmes elles-mêmes. La carte ci-dessous reflète le pourcentage de femmes qui considèrent que les violences perpétrées par le conjoint sont légitimes dans certaines circonstances (repas brûlé, dispute, refus de rapports sexuels, …).
GSF a pu observer, par ses activités en France, que les violences conjugales et les mariages forcés font partie des causes de l’exil, notamment pour les femmes Afghanes. Les femmes originaires des Balkans et du nord Caucase sont, elles, souvent touchées par les violences conjugales et intra-familiales.
Les violences sexuelles durant les conflits ont toujours existé, elles sont à différencier de ce qui se développe de plus en plus dans les conflits contemporains : le viol utilisé comme arme de guerre. Cette dernière pratique n’est pas initiée par les soldats eux-mêmes mais est utilisé comme un outil de terreur dont l’utilisation est soutenue, encouragée et organisée par la stratégie militaire.
Cette méthode de terreur est particulièrement efficace, détruisant les familles et les communautés, avec très peu de risques que les victimes témoignent de ce qu’elles ont vécu. Les femmes, hommes ou enfants violés subissent les séquelles physiques et psychologiques de ces agressions violentes, avec parfois de lourdes répercussions sur la santé (transmission VIH, fistules génitales, …). Les conjoints, les enfants, la communauté, sont fortement impactés dans leur statut suite aux violences dont ils ont été témoins ; les structures sociales et traditionnelles sont ébranlées. C’est donc l’équilibre même d’une société qui est brisé, menant à l’exclusion et au rejet des victimes, la paupérisation, la stigmatisation des enfants nés des viols, l’escalade de la violence, la fragilisation de l’économie de la collectivité et du pays concerné. Cela crée un climat propice à la diffusion interne de ces violences au sein du groupe et à la perpétuation de l’institution du viol.
Les groupes armés, profitant de l’absence d’Etat de droit, s’assurent une impunité et une emprise sur les régions par ce crime de masse. Les victimes vivent, dans 90% des cas, dans des zones quasi-inaccessibles, rendant leur identification et leur prise en charge très difficile. Il est donc très rare d’obtenir des chiffres précis, à cause de l’isolement géographique des victimes, mais également en raison du silence dans lequel elles se réfugient.
Malgré des chiffres imprécis, We are not a weapon of war (WWoW) rapporte, entre autres :
- 500 000 cas au Rwanda en 1994
- entre 200 000 et 600 000 en RDC et au Soudan
- en Irak, on estime aujourd’hui que plus de 7000 femmes yézidies sont esclaves sexuelles de Daech, 3000 étant encore prisonnières
- en Birmanie, le viol utilisé comme arme de nettoyage ethnique à l’encontre des Rohingyas concerne déjà plus de 50 000 personnes
Selon WWoW, les différents objectifs visés sont :
- Nettoyage et purification ethniques en Bosnie-Herzégovine, au Rwanda ou aujourd’hui à l’encontre du peuple Yézidi ou à l’encontre des minorités Rohingyas en Birmanie.
- Stratégie politique et économique en République Démocratique du Congo ou en République Centre Africaine. Au sein de ces pays, les zones où le viol sévit en masse sont celles où se trouvent les mines de diamants ou de minerais précieux et ont pour but de faire fuir la population et permettre aux milices et bandes armées d’exploiter les minerais.
- Outil de terreur et de torture en Irak, Libye ou Syrie ou encore au Sud Soudan.
- Outil de répression politique en Guinée, au Sri Lanka, au Zimbabwe ou Kenya
- Endoctrinement des soldats comme en octobre 2015, où dans une lettre destinée à ses hommes, Abou Bakr al-Baghdadi chef de l’Etat Islamique, prônait la conversion à l’Islam par le viol. Daesh a fait du viol de guerre une arme suprême, partie intégrante de sa stratégie. Boko Haram au Nigéria en a également fait son arme favorite en ciblant les jeunes filles et en particulier celles se rendant à l’école en les enlevant, les violant à répétition et en les mariant de force à ses membres. L’exemple des 200 jeunes filles Chiboks enlevées en 2014 en est le plus probant.
- Le viol est également utilisé comme garantie de recrutement par Daech et par Boko Haram. Pour la plupart des organisations djihadistes les plus extrêmes, la garantie d’avoir des relations sexuelles est un outil de recrutement important. Plus récemment au Soudan, le recrutement se faisait avec la garantie d’avoir « des femmes » souvent âgées d’à peine 10 ans
- Une nouvelle source de revenus avec le trafic d’êtres humains, les « marchés sexuels » les demandes de rançon… constituent désormais une nouvelle forme de ressource financière au même titre que le pétrole.
Selon une enquête Dsafhir de 2018, 16% en moyenne des femmes migrantes interrogées (âgées de plus de 18 ans, hébergées à l’hôtel en Ile de France) témoignaient avoir vécu des violences durant leur parcours d’exil. Ce taux passe à 59% pour les femmes ayant eu un parcours d’exil « très complexe », c’est-à-dire ayant effectué un voyage long, de plusieurs mois, traversant quatre pays ou plus, et par différents moyens de transports, dont les bateaux ou embarcations de fortune. L’exemple de la Libye est typique, il témoigne de la prise de pouvoir des passeurs et des autorités sur les migrants.
Les femmes sont vulnérables aux agressions sexuelles, à l’exploitation sexuelle pour payer des étapes du parcours, à la traite des êtres humains (esclavage, vente), aux violences conjugales …
Arrivées dans le pays d’accueil, les femmes, isolées socialement et affectivement, sont d’autant plus vulnérables aux agressions sexuelles si elles sont en situation administrative précaire, ou si elles ne bénéficient pas d’un hébergement. Selon cette même enquête de 2018, 46% des femmes interrogées ont subi des violences depuis leur arrivée sur le territoire français.
L’expression «traite des êtres humains» désigne le recrutement, le transport, le transfert, l’hébergement ou l’accueil de personnes, par la menace de recours ou le recours à la force ou d’autres formes de contrainte, par enlèvement, fraude, tromperie, abus d’autorité ou d’une situation de vulnérabilité, ou par l’offre ou l’acceptation de paiements ou d’avantages pour obtenir le consentement d’une personne ayant autorité sur une autre aux fins d’exploitation. L’exploitation comprend, au minimum, l’exploitation de la prostitution d’autrui ou d’autres formes d’exploitation sexuelle, le travail ou les services forcés, l’esclavage ou les pratiques analogues à l’esclavage, la servitude ou le prélèvement d’organes.
GSF a pu remarquer dans sa pratique la tendance suivante :
- TEH à des fins d’exploitation sexuelle : Nigéria, Guinée, Côte d’Ivoire, Angola, République Démocratique du Congo, Albanie, Kosovo, Moldavie, Chine, Russie
- TEH à des fins d’exploitation domestique : Bangladesh, Corne de l’Afrique
Le risque d’enrôlement dans des réseaux de proxénétisme est très fort, depuis le départ du pays d’origine, mais aussi à l’arrivée en Europe. Les femmes migrantes, très vulnérables, sans situation administrative régulière ni hébergement, se voient parfois contraintes à se prostituer pour survivre.
La prostitution concernerait 30 000 à 40 000 personnes en France, dont 90% d’origine étrangère.
Il y a, notamment, un important réseau de TEH à des fins de prostitution de femmes Nigérianes. Elles sont recrutées dans leur pays, et le réseau de proxénétisme leur paye le trajet pour venir en France, où elles devront se prostituer pour payer leur dette. Leurs papiers d’identité sont confisqués, elles voyagent avec des faux papiers, assurant une dépendance supplémentaire de la victime envers le réseau. Les femmes sont également victimes d’une importante emprise psychologique et spirituelle de la part de leurs proxénètes, qui peuvent également être des femmes.
Les risques pour leur santé ne sont pas négligeables : transmission d’IST, problèmes gynécologiques, risque d’addictions, troubles psychiques, risque d’être victimes de violences de la part des clients et des proxénètes … L’accès aux soins, théoriquement identique à la population générale, est en pratique bien moindre. On estime la mortalité d’une personne prostituée 40 fois plus élevée que la moyenne nationale.
Il est possible de demander un titre de séjour temporaire pour ces femmes si elles s’engagent sur un parcours de sortie de la prostitution.
La prostitution : une violence ?
Selon une enquête de la MIPROF en 2016, 11% des personnes victimes de TEH suivies par des associations relevaient de situations d’esclavage domestique.
Visiter la page → Mutilations Sexuelles Féminines
Violences conjugales
Afin d’aider au mieux les femmes victimes de violences, il est important de comprendre ce qu’elles endurent, ce qu’elles ressentent et les mécanismes psychiques qui en découlent. Prendre la mesure de la situation de la personne, la déculpabiliser, permet à la femme de se sentir comprise et soutenue.
Le conflit implique interaction, débat. Il est à même d’entraîner une négociation et de faire évoluer les points de vue.
A la différence du conflit, la violence conjugale est un processus de domination au cours duquel l’un des deux conjoints installe et exerce une emprise sur l’autre en usant de tromperie, de séduction, de menaces, de contraintes ou de tout autre moyen à l’encontre de la femme et ayant pour but et pour effet de l’intimider, de la punir ou de l’humilier, de la maintenir dans des rôles stéréotypés liés à son sexe, de lui refuser sa dignité humaine, son autonomie sexuelle, son intégrité physique, mentale et morale, ou encore d’ébranler sa sécurité personnelle, son amour-propre, sa personnalité, ou de diminuer ses capacités physiques ou intellectuelles.
C’est l’attaque de l’identité du conjoint victime qui fait la spécificité de cette dynamique relationnelle, caractérisée par des effets associés : terreur et perte d’autonomie de la victime avec risque d’homicide important.
Mathilde Delespine, sage-femme coordinatrice de la Maison des femmes de Seine Saint Denis (93), expose les stratégies d'embrouille des agresseurs pour assurer leur impunité et asservir leur proie
Violences psychologiques | Créer une tension insupportable, de maintenir un climat de peur et d'insécurité permettant les autres formes de violence |
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Violences verbales |
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Violences physiques | Atteintes à l'intégrité corporelle, violences avec ou contre des objets |
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Violences sexuelles | Actes sexuels imposés, viols, tentatives de viols et agressions sexuelles, mutilations sexuelles |
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Violences économiques et sociales | Privation de ressources, de l'autonomie financière et administrative |
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- Perte de l'estime de soi
- Sentiments contradictoires envers l'agresseur : amour et agressivité, espoir et attachement affectif, terreur
- Anxiété de la rupture et du départ : responsabilisation quant à l'échec conjugal et familial, prise en charge des enfants
- Pressions de l'entourage : culpabilisation autour du statut de victime et de l'échec conjugal, reproches quant à la conduite adoptée
- Conséquences du départ : économiques, sociales, affectives, familiales, professionnelles
- Absence d'appuis (amicaux, juridiques, sociaux)
- Méconnaissance et sous-information (droits personnels, recours, possibilités)
périodes à risques, périodes clés pour le repérage
Que ce soit dans une démarche d’IVG ou de suivi de grossesse, c’est l’opportunité de dépister des violences conjugales lors des rencontres avec des professionnels de santé ou du social.
La violence est à l’origine d’un quart des demandes d’IVG.
La grossesse et la naissance d’un enfant sont un facteur déclenchant ou aggravant des violences préexistantes :
- Dans le couple apparaît souvent au 2ème trimestre de grossesse ou juste après la naissance (40% des situations de violences conjugales)
- Réactivation des traumatismes de violences passées
- Les besoins du nouveau-né vont solliciter l'auteur de violence dans ses vulnérabilités : immaturité, difficulté à gérer ses émotions, intolérance à la frustration, égocentrisme, faible estime de soi.
Certaines circonstances peuvent laisser à penser que la vie de la victime est en danger, et nécessitent d’être signalées au Procureur de la République :
- Antécédent judiciaire de l’agresseur
- Consommation de toxiques
- Menaces de mort
- Tentatives de strangulation
- Utilisation d’objets de la vie courante en tant qu’armes
- Présence d’arme à feu au domicile
- Idées suicidaires
- Comportements personnels (de la femme) à risques
Psycho-traumatismes
Lors d’un évènement stressant, le thalamus active le cortex et le système limbique, engendrant une réponse émotionnelle (cortisol, adrénaline) qui se régule par l’hippocampe et le cortex (« voie haute »).
Lors d’un évènement de stress intense, la réponse émotionnelle est si forte que le circuit neuronal « disjoncte », engendrant un état dissociatif et une anesthésie émotionnelle.
La mémoire traumatique peut être réactivée par un rappel de cet évènement traumatisant, l’individu peut alors mettre en place :
- Des conduites d’évitement
- Des conduites dissociantes : augmenter le niveau de stress pour redéclencher la disjonction du circuit émotionnel (conduites à risques, auto ou hétéroagressives, addictions, pratiques sexuelles violentes,…). Cela a pour effet de diminuer l’angoisse, mais surtout de recharger la mémoire traumatique.
Ces conduites sont difficiles à comprendre pour la victime et l’entourage, entraînant un sentiment de culpabilité de la victime.
Le syndrome de stress post-traumatique est un trouble anxieux sévère qui apparaît suite à une expérience vécue comme traumatisante, avec une confrontation à des idées de mort. Il devient chronique s’il persiste plus de trois mois. Les symptômes principaux sont l’évitement, l’hypervigilance et les reviviscences.
Les conséquences ne sont pas les mêmes selon le type de traumatisme :
- Traumatisme simple (type 1) : agresseur inconnu, agression unique
- Traumatisme complexe (type 2) : agresseur connu (entourage), agressions répétées
L’étude ACE (Adverse Childhood Experiences) menée de 1995 à 1997 s’est intéressée aux personnes ayant vécu des évènements négatifs durant l’enfance et aux conséquences que celles-ci ont eu sur leur vie future. Les évènements négatifs recherchés étaient les violences physiques ou psychologiques, les abus sexuels, l’exposition aux violences familiales et aux maladies mentales, la consommation abusive de toxiques dans le foyer, la négligence physique ou émotionnelle, l’incarcération d’une personne du foyer, la séparation ou le divorce des parents.
Les résultats de cette étude ont montré pour les personnes ayant vécu 4 évènements négatifs durant l’enfance sont surexposées, vis-à-vis des personnes n’en ayant vécu 0, aux situations suivantes :
- Tentative de suicide – RR = 12,2
- Alcoolisme – RR = 7,4
- Toxicomanie – RR = 4,7
- Dépression durant plus de 2 semaines – RR = 4,6
(RR = Risque relatif)
Elles ont également un sur-risque de maladies chroniques (diabète, BPCO, obésité sévère, coronaropathies), d’être dans un état de santé précaire ou encore d’avoir plus de 50 partenaires sexuels.
Mathilde Delespine, présentation Violences faites aux femmes, FGOH Tours 2019