Comme pour chaque femme, le parcours de santé des femmes migrantes sera accompagné par les sages-femmes, les médecins, les infirmiers … Cependant, en raison de leur vulnérabilité spécifique, il est important que les professionnels soient particulièrement bienveillants et empathiques envers les femmes qu’ils prennent en charge. Ils doivent être attentifs à la continuité des soins et à l’accompagnement dans les démarches d’accès aux droits.
Pour des femmes primo-arrivantes, le nouvel environnement dans lequel elles vivent peut être anxiogène et générer un défaut d’accès aux soins de santé. Les professionnels de santé doivent veiller à la continuité des soins par un travail en réseau (CH, PMI, …) et à proposer un accompagnement global.
Pour les femmes dont le parcours de migration est en cours, le suivi médical devra être adapté à ce contexte chaotique. Se mettre dans la situation de « one shot », c’est-à-dire proposer les examens utiles dans un temps réduit et au sein d’un même lieu. Il faudra remettre à la patiente qui se déplace une copie de l’ensemble des examens médicaux pratiqués. Enfin, le professionnel de santé doit garder à l’esprit que cette patiente, dans son projet migratoire, pourra montrer des réticences à l’hospitalisation, qui réduit alors ses chances de « passer ».
De la même manière que pour chaque patiente, soigner une femme exilée devra prendre en compte la personne dans sa globalité : son parcours de vie, sa situation psycho-sociale, ses conditions de vie, mais aussi ses représentations du corps et de la santé.
Grossesse
Si une femme pense être enceinte et exprime le désir de faire une IVG :
- Confirmer la grossesse par un test urinaire
- Faire pratiquer une échographie de datation de la grossesse, si possible directement en centre d’orthogénie
- Selon sa couverture sociale, l’orienter vers un professionnel de santé : libéral ou centre d’orthogénie
Le parcours de soins lié à l’IVG est pris en charge par la sécurité sociale. En cas d’absence de droits, adresser la patiente à la PASS de l’hôpital.
Pour les jeunes filles mineures :
- Entretien psycho-social obligatoire (assistante sociale, conseillère conjugale,…), prévu dans la procédure de prise en charge en centre d’IVG
- Autorisation de soins des parents non requise mais recommandée
- Obligation de se faire accompagner dans les consultations par un adulte majeur, de son entourage et de son choix
L’IVG est possible en France avant 14 SA, soit 12 semaines de grossesse révolues. (SA : Semaines d’Aménorrhée)
Au-delà de ce délai, une IVG n’est plus possible. Dans le cas de circonstances psycho-sociales d’une particulière gravité (viol, très jeune fille, pathologie psychiatrique, …), une IMG – interruption médicale de grossesse – peut être demandée selon l’avis d’un psychiatre et d’un gynécologue ou au centre de DAN.
Le suivi de grossesse des femmes migrantes est généralement moins complet (moins de consultations de suivi et d’examens complémentaires, suivi tardif, plus de consultations en urgence,…). Pour contrer cette tendance, il est important :
- De faciliter la continuité des soins en adressant à des professionnels du réseau, de manière adaptée (rapprochement géographique, PMI, …)
- De promouvoir, auprès des femmes exilées, le suivi de grossesse dès son début et d’expliquer l’intérêt des soins de suivi
- De s’aider de traducteurs si nécessaires, en veillant à ce que ces traducteurs ne connaissent pas la patiente (confidentialité)
- De regrouper, tant que possible, les soins sur un même temps et au sein d’un même lieu (ne pas multiplier les déplacements si cela est évitable (difficultés potentielles à faire un suivi régulier si en parcours migratoire)
- De remettre une copie de l’ensemble des éléments du suivi à la patiente afin de faciliter la prise en charge en cas de poursuite du parcours migratoire
- D’accompagner à l’ouverture de droits de santé dès le début de grossesse
- De toujours faire preuve d’écoute, d’empathie, de bienveillance et d’ouverture d’esprit, la patiente n’aura pas nécessairement les mêmes représentations de la santé, de la sexualité et du corps que le soignant
Une fois la déclaration de grossesse réalisée, l’assurance maladie prend en charge à 100% la majorité des consultations et actes en rapport avec la grossesse :
- 7 consultations prénatales obligatoires
- 3 échographies recommandées : remboursées à 70% jusqu’à la fin du 5ème mois de grossesse, puis à 100% à partir du 1er jour du 6ème mois.
- 8 séances de préparation à l’accouchement
- un examen bucco-dentaire (du 4ème mois jusqu’au 12ème jour après l’accouchement)
- l’amniocentèse et le caryotype fœtal.
- les honoraires d’accouchement
- la péridurale
- les frais de séjour à l’hôpital ou en clinique conventionnée dans la limite de 12 jours (et en dehors des frais pour confort personnel)
- un examen médical obligatoire (dans les 8 semaines après l’accouchement) : visite post-natale
- 10 séances de rééducation abdominale/périneo-sphinterienne sur prescription médicale.
A partir du 6ème mois et jusqu’au 12ème jour après l’accouchement, les frais d’examens biologiques ou de pharmacie, en rapport ou non avec la grossesse, sont également pris en charge à 100% par l’assurance maladie.
Pour les patientes étrangères non éligibles à l’AME, les soins urgents « dont l’absence mettrait en jeu le pronostic vital ou pourrait conduire à une altération grave et durable de l’état de santé de la personne ou de l’enfant à naître » sont pris en charge (DSUV).
« Ma maternité en français » : aborder le thème de la maternité en français
Le Réseau Louis Guilloux propose, à Rennes, des séances à destination des femmes enceintes et jeunes mères allophones dans le but d’échanger sur la maternité par l’apprentissage de la langue française. Les participantes peuvent donc apprendre le vocabulaire autour de la grossesse, mais aussi témoigner et échanger sur les pratiques et les coutumes autour de la naissance. Les séances sont animées par des formateurs FLE.
« Enceinte à Genève » : préparation à la naissance pour femmes allophones
Issue de la collaboration entre Appartenances-Genève et l’Arcade des sages-femmes, cette offre de préparation à la naissance est destinée aux femmes enceintes migrantes, maîtrisant peu ou mal le français.
Les cours sont animés par des sages-femmes relayées par des interprètes communautaires.
L’objectif de ces cours est de fournir aux femmes des informations sur leur corps, le processus de la maternité et de l’accouchement ainsi que sur le système de santé genevois. Il s’agit également de réduire leur isolement et de les encourager à développer leurs ressources personnelles, familiales et communautaires ici à Genève.
Ces cours s’adressent à toute femme enceinte, migrante, non-francophone, quel que soit son statut légal. Les femmes peuvent venir seules ou accompagnées par une amie, une parente ou avec leurs enfants.
Infections sexuellement transmissibles
Les femmes migrantes sont plus exposées aux IST, par la moindre utilisation du préservatif, par le manque de dépistage et de traitement, et par la surexposition aux rapports sexuels forcés.
Selon une étude menée par J. Pannetier en 2013 auprès des femmes originaires d’Afrique sub-saharienne, un tiers des femmes vivant avec le HIV ont été infectées suite à leur parcours migratoire. Elles avaient également été plus fréquemment victimes des viols.
Allaitement
Les bénéfices connus de l’allaitement maternel sont d’autant plus appréciables pour une population migrante plus fragile économiquement et plus exposée aux maladies infectieuses :
- L’allaitement maternel est suffisant pour couvrir les besoins nutritionnels de l’enfant jusqu’à 5 mois
- Il apporte une protection immunologique
- C’est un aliment tout prêt, à disposition, gratuit
- Il favorise le lien mère – enfant
- Il est un facteur protecteur contre les allergies
L’OMS recommande donc de promouvoir l’allaitement maternel auprès des femmes et des jeunes filles.
Contraception
L’accès à la contraception est plus compliqué pour les femmes migrantes. Dans ces circonstances, il est important de privilégier les contraceptions les moins onéreuses et les plus faciles d’observance.
Le préservatif est la première contraception à encourager, de par sa facilité de distribution.
Une pilule sera peu coûteuse mais plus difficile d’observance.
L’implant, ou le DIU hormonal, semblent une méthode intéressante sur le long terme mais son coût peut être un obstacle à la dispensation.
Le stérilet au cuivre, moins coûteux, ne sera pas nécessairement une bonne solution en regard des risques d’IST et de la nécessité de disposer d’une salle d’examen adéquate pour sa pose.
L’injection de Dépoprovera est, dans ce cas précis, une des méthodes les plus simples et les moins coûteuses, malgré ses effets indésirables.
Gynécologie en milieu précaire
Être femme en parcours de migration peut s’avérer très compliqué sur le plan pratique :
- Hygiène intime et gestion des hémorragies : les protection hygiéniques sont chères, se changer à l’abri des regards peut être difficile sur un camp sauvage voire dangereux, les femmes étant alors vulnérables à des agressions
- Gestion des mictions dans les camions : les femmes urinent parfois recours dans des couches ou des préservatifs
- IST et vaginoses : la difficulté d’accès aux traitements, la promiscuité et les conditions d’hygiène précaires ne facilitent pas le traitement
La prise en charge gynécologique doit prendre en compte ces facteurs dans la démarche de soin.
La consultation gynécologique d’une femme en parcours migratoire va au-delà de la consultation classique et doit aussi s’intéresser à la médecine générale. Aussi, dans un contexte où la sage-femme ou le gynécologue seraient les seuls professionnels de santé accessibles aux femmes, il est important de s’intéresser à la santé générale de la patiente : dépistage des IST, statut vaccinal contre le tétanos, diagnostic et traitement de la gale, de la varicelle, …
Mutilations sexuelles féminines
Parmi les femmes exilées, nombreuses sont celles qui ont subi des mutilations sexuelles. Il est indispensable, pour bien accompagner ces femmes, d’ouvrir la parole sur ce sujet et de rappeler la protection par la Loi en France.
Selon l’OMS, les mutilations sexuelles féminines sont des interventions qui altèrent ou lèsent intentionnellement les organes génitaux externes de la femme pour des raisons non médicales.
On estime que plus de 200 millions de jeunes filles et de femmes, toujours en vie, ont été victimes de mutilations sexuelles pratiquées dans 30 pays africains, du Moyen Orient et de l'Asie où ces pratiques sont concentrées. Tous les ans, 3 millions de jeunes filles subissent une mutilation sexuelle.
On estime qu’environ 53 000 femmes adultes excisées vivent en France, et 500 000 dans l’Union européenne.
Les justifications de ces pratiques culturelles sont nombreuses et varient d’une culture à une autre. Les explications sont souvent coutumières, l’excision est perçue comme un rite de passage incontournable pour devenir une femme, ou est pratiquée selon des justifications hygiéniques ou esthétiques (retirer ce qui serait des vestiges masculins), ou bien pour réprimer une sexualité féminine qui serait incontrôlée sans excision.
Les mutilations sexuelles féminines sont considérées comme une violation des droits des jeunes filles et des femmes. En Afrique, 24 Etats ont signé la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples qui condamne la pratique de l’excision. Les différentes instances internationales (ONU, UNICEF, OMS, …) luttent contre ces pratiques ainsi que de nombreuses associations.
Les mutilations sexuelles peuvent prendre différentes formes, de l’ablation du capuchon clitoridien jusqu’à l’infibulation.
Il est important de savoir définir, à l’examen clinique, le type de mutilation que la personne a subi.
- Type I : excision du capuchon clitoridien
- Type II : excision du clitoris +/- des petites lèvres
- Type III : infibulation : fermeture +/- importante de l’orifice vulvaire
- Type IV : autres mutilations (brûlures, perforations, …)
Ces mutilations peuvent provoquer immédiatement de graves hémorragies et des problèmes urinaires, et par la suite des kystes, des infections, une stérilité, des complications lors de l'accouchement, et accroître le risque de décès du nouveau-né.
Complications tardives en dehors de la grossesse et l’accouchement
- dyspareunie, dysfonctions sexuelles, sténose vaginale, infertilité, stérilité, endométrite chronique, vaginites, dysménorrhée, ménorragie…
- infections urinaires, incontinence, troubles de la miction…
- problèmes cicatriciels: abcès, chéloïdes, kystes dermoïdes, névromes…
Complications obstétricales :
- sous-alimentation pour tenter d’éviter la naissance d’un gros bébé.
- difficultés lors des examens vaginaux,
- impossibilité de sonder la vessie,
- augmentation de la durée de la 2ème phase du travail,
- déchirures périnéales,
- hémorragie du post-partum,
- infection de plaie périnéale,
- fistule vésico-vaginale ou recto-vaginale.
Au final : augmentation de la mortalité périnatale et de la mortalité maternelle
Conséquences psychologiques :
- dépression, syndrome post-traumatique
- facteur de risque pour le développement de pathologies psychiatriques
A l’hôpital Trousseau, à Paris, dans le service de prise en charge des femmes ayant subi une excision, 92% des patientes se définissent comme complexées ou ayant un manque de confiance en elles.
Vivre dans un contexte social où les autres femmes ne sont généralement pas mutilées est un facteur de risque pour l’établissement d’un stress post-traumatique.
- Dépistage des mutilations lors des consultations de suivi de grossesse des femmes originaires de pays où sont pratiquées les MSF
- Faire le lien entre les consultations et la mutilation subie (problèmes urinaires, infections à répétition, …)
- Aborder le devenir de la petite fille à naître, et de ses sœurs ainées
- Informer les parents sur une pratique douloureuse et dangereuse, qui n’est pas exigée par la religion, et interdite, sanctionnée par la Loi française
- Orienter, donner le contact et les informations sur les Unités médicales de prise en charge, les associations de soutien (GAMS, …)
Les mutilations sexuelles féminines sont interdites et punies par la loi française.
La loi protège tous les enfants qui vivent en France, quelle que soit leur nationalité, et s’applique pour les mutilations commises, en France comme à l’étranger.
L’auteur d’une mutilation commise à l’étranger, qu’il soit français ou étranger, peut être poursuivi en France, si la victime est de nationalité française ou bien si elle est étrangère et réside habituellement en France. (article 222-16-2 du code pénal)
Les peines prévues pour l’auteur d’une mutilation et pour le(s) responsable(s) de l’enfant mutilée sont définies par le code pénal, dont:
- Les violences ayant entraîné une mutilation ou une infirmité permanente sont punies par 10 ans d’emprisonnement et 150000 € d’amende (article 222-9).
- Si la mutilation est commise sur une mineure de moins de 15 ans par un ascendant légitime, naturel, adoptif, ou par toute autre personne ayant autorité sur la mineure, la peine encourue est de 20 ans de réclusion criminelle (article 222-10).
C’est ainsi que quelques parents et des exciseuses ont été condamnés en Cour d’assises à des peines d’emprisonnement.
Une action en justice peut être engagée 20 ans après la majorité de la victime, c’est-à-dire jusqu’à ses 38 ans.
Une enfant ou jeune fille mineure non excisée originaire d’un pays où l’excision est fréquente est à haut risque d’être excisée si elle y retourne. Elle pourra à ce titre bénéficier d’une procédure de demande d’asile au vu du risque encouru en cas de retour au pays d’origine.
La « non-excision » de la jeune fille devra être constatée par un médecin légiste (liste des établissements compétents).
Un certificat d’excision de la mère pourra, le cas échéant, appuyer la demande. Ce certificat n’est pas obligatoirement effectué par un médecin légiste.
OFPRA et MSF Pour en savoir plus, voici la procédure de l’OFPRA
Différents services hospitaliers en France proposent une prise en charge des femmes ayant subi une mutilation sexuelle, que ce soit pour un accompagnement psycho-social ou une chirurgie réparatrice.
Chaque soignant peut dépister ces mutilations, informer les femmes (de la mutilation subie, de la prise en charge possible, de l’interdiction de pratiquer l’excision en France) voire de les orienter vers les services de soins spécialisés (ci-dessous).
Guide de prise en charge des MSF pour les soignants :
Afin d’accéder au méat urinaire ou dans le cas d’une impression d’orifice vaginal trop étroit pour l’accouchement, une désinfibulation peut être pratiquée en fin de grossesse voire en salle de naissance, sous anesthésie péridurale, par une section verticale à l’aide de ciseaux puis par une suture par surjet de chaque côté.
Soigner et prendre soin
Une différence existe entre soigner, effectuer des actes de soins, et « prendre soin ». Cette dernière vision, plus globale, est une approche qualitative plutôt que quantitative. Auprès d’une femme malmenée par la vie, ayant vécu des violences, vivant en insécurité ou dans des conditions insalubres, « prendre soin » peut simplement consister à porter son regard sur elle, l’écouter, la considérer dans sa dignité humaine, l’accompagner dans ses démarches, la conseiller, ou simplement être là, présent, avec empathie et bienveillance.
Les demandes ou questionnements peuvent parfois paraître dérisoires, saugrenues ou insignifiants, mais il faut tout de même y répondre et les considérer avec attention. De petites choses peuvent parfois soulager le quotidien, et derrière une question anodine se cachent souvent des préoccupations plus graves. Faire preuve de disponibilité psychique et d’écoute permet à la personne de se sentir en confiance et en sécurité.